Interview de Marc Ferraci, Ancien ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie

Interview de Marc Ferraci, Ancien ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie

Interview de Marc Ferraci, Ancien ministre chargé de l'industrie et de l'énergie

Interview réalisée avant le 9 septembre 2025.

Dans les Hauts-de-France, la réindustrialisation s’accompagne d’un impératif : garantir une énergie fiable et lisible pour les entreprises. Marc Ferracci, ancien ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, fixe le cap : planifier les réseaux, sécuriser des contrats stableset faire confiance aux entreprises pour inventer les solutions. Entretien…

Comment l’État accompagne-t-il les territoires dans l’anticipation et la sécurisation de leurs besoins énergétiques croissants ?
La réindustrialisation, c’est une priorité assumée du gouvernement. Depuis 2022, plus de 450 usines ont ouvert ou se sont agrandies.
Bien sûr, le chemin reste long, mais la tendance historique à la désindustrialisation a été inversée. C’est un signal fort : la France redevient
une terre d’usines. Pour cela, les industriels demandent des garanties. Et la première d’entre elles, c’est l’énergie : une énergie décarbonée,
compétitive, abondante. C’est une condition sine qua non de l’attractivité de nos territoires.

L’État est au rendez-vous. En central comme en local, nous travaillons main dans la main avec les entreprises et avec les gestionnaires
de réseau. Nous avons considérablement accéléré les délais de raccordement pour les projets stratégiques. Nous avons lancé
des mutualisations, comme à Dunkerque, pour anticiper les besoins massifs liés aux implantations industrielles. Bref, nous ne
subissons pas la demande : nous la planifions, nous la sécurisons. Car il y a une conviction forte : pas de réindustrialisation sans
planification énergétique. L’avenir de nos usines se joue aussi dans nos réseaux électriques.

Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est bâtir ce socle invisible mais décisif, sans lequel la réindustrialisation resterait un slogan. Cet effort
se conjugue à celui des collectivités territoriales, notamment la Région, très investie sur les sujets industriels, et les maires et les intercommunalités, qui pour beaucoup connaissent et souhaitent promouvoir l’industrie. La réussite d’un territoire
doit souvent beaucoup à ses élus et la région Hauts-de-France n’y fait pas exception.

L’accès à une énergie à la fois compétitive, bas carbone et disponible est devenu un facteur clé d’attractivité pour les industriels. Quels sont, selon vous, les principaux leviers pour concilier ces trois exigences ?
En Europe, la France a un atout majeur : son électricité. Décarbonée à hauteur de 95 %, largement compétitive grâce à son parc
nucléaire, elle est déjà un puissant facteur d’attractivité. C’est une base solide, presque unique sur le continent, et nous devons la
préserver. Notre stratégie est claire : sortir de la dépendance aux énergies fossiles importées, et renforcer notre souveraineté en produisant, chez nous, une énergie bas carbone, abondante et compétitive. Cela passe par le nucléaire, pilier de notre modèle, mais aussi par les énergies renouvelables, indispensables à l’équilibre et à la diversification de notre mix.

Mais l’énergie compétitive, ce n’est pas seulement une question de production, c’est aussi une question de contrat et de stabilité.
Avec EDF, nous avons défini dès 2023 le cadre qui succédera à l’ARENH 1. Ce nouveau cadre doit protéger nos industriels des chocs
de marché et leur offrir de la visibilité grâce à des contrats de moyen et de long terme.

Les discussions sont en cours, les premiers contrats sont signés et notre cap est clair : garantir aux électro-intensifs une électricité
compétitive et stable. Enfin, nous activons aussi les leviers économiques. Taux réduits d’accise, abattement sur le tarif d’utilisation du réseau public, compensation des coûts indirects du carbone : autant de mécanismes concrets qui renforcent la compétitivité de nos usines.
Car au fond, il n’y a pas de compétitivité industrielle sans compétitivité énergétique.
1 Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique

Nous ne subissons pas la demande : nous la planifions, nous la sécurisons. Car il y a une conviction forte : pas de réindustrialisation sans planification énergétique. L’avenir de nos usines se joue aussi dans nos réseaux électriques .

Certains industriels investissent dans des solutions innovantes en matière de sobriété énergétique. Comment l’État soutient-il ces démarches ? Voyez-vous dans ces modèles un levier structurant pour l’industrie de demain ?

L’industrie de demain sera plus sobre en énergie et pleinement décarbonée. C’est une certitude, mais c’est surtout une
nécessité. C’est pour cela que nous avons déjà mobilisé 4,6 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, spécifiquement pour
la décarbonation de l’industrie. Le dispositif des certificats d’économie d’énergie permet également d’inciter à la sobriété énergétique.

Mais il y a un principe auquel je crois beaucoup : l’État fixe le cap, ce sont les entreprises qui inventent les solutions.
Et pour cela, nous avons choisi de leur faire confiance ! France 2030, ce sont 54 milliards d’euros pour accompagner l’innovation
dans des secteurs stratégiques, de l’aéronautique au numérique, en passant par l’agroalimentaire et la défense.

L’innovation pour la sobriété, elle naît d’abord des ateliers, des usines, des territoires.
C’est là que les industriels réinventent leurs procédés, développent des technologies plus efficaces, créent des synergies locales.
Regardez les réseaux de chaleur ou les mutualisations énergétiques : ce sont des modèles qui montrent qu’en innovant, on peut
réduire les coûts, diminuer l’empreinte carbone et créer de l’emploi. En somme, la sobriété peut être un levier de compétitivité. Elle permet à nos entreprises de produire mieux, à nos territoires de se renforcer, et à notre industrie de préparer l’avenir.

Les Hauts-de-France se positionnent comme un territoire pionnier en matière de transition industrielle. Quelles perspectives spécifiques voyez-vous pour cette région en matière d’innovations énergétiques, de souveraineté industrielle et de compétitivité à long terme ?

Les Hauts-de-France, c’est d’abord une terre d’industrie. Une histoire riche, un ancrage profond, et aujourd’hui une nouvelle
dynamique qui en fait un territoire pionnier de la transition industrielle. Son atout majeur, c’est sa position. Mais les Hauts-de-France,
ce sont surtout des projets concrets, qui montrent que la réindustrialisation n’est pas un slogan mais une réalité : les giga-usines
de Verkor et Prologium ; la relocalisation de la R5 électrique à Douai ; la nouvelle ligne d’ACC, sortie de terre en un temps record et qui a
permis 500 recrutements en 2024. Ou encore Arc, symbole de la capacité de ce territoire à conjuguer tradition et innovation.

À cette dynamique industrielle s’ajoute une véritable ambition énergétique. La région est à l’avant-garde de la décarbonation :
chaudières biomasse comme chez Roquette, projets d’efficacité énergétique dans la sucrerie, capture et stockage de CO2
avec Dkarbonation à Dunkerque, lauréat des Zones Industrielles Bas Carbone.
Autant d’initiatives que la transition énergétique et la compétitivité industrielle avancent ici de concert.
Et puis, il y a les engagements de long terme. Aluminium Dunkerque et EDF ont signé un accord de fourniture d’électricité sur dix ans :
un signal fort, qui montre que les industriels croient dans l’avenir énergétique du territoire.
Enfin, les Hauts-de-France, ce sont 18 « Territoires d’Industrie ». Dix-huit territoires de reconquête, dix-huit foyers d’innovation,
dix-huit preuves que cette région est à la pointe de notre ambition collective.

Ce dispositif, qui associe un élu local et un industriel pour dynamiser un territoire, en lien avec une direction de projet nationale,
rappelle que la réussite industrielle s’écrit à plusieurs. Je suis convaincu que l’usine est un ferment puissant pour renouer le lien social,
et j’observe qu’avant que l’usine n’existe, il faut déjà être plusieurs à pousser dans le même sens pour lui permettre d’ouvrir !
Indiscutablement, les Hauts-de-France sont plus qu’un territoire industriel doté d’élus engagés : ils sont un accélérateur de
souveraineté, un laboratoire d’innovation, et un moteur de compétitivité pour la France de demain.

Interview réalisée avant le 9 septembre 2025.